Danièle Giraudy

La Charmeuse de calques
– Mises en scènes –

Après la toile de lin sur laquelle elle a brossé longtemps des paradis imaginaires, habités par ses couples d’amoureux adolescents, après le verre coloré soufflé en vases lumineux ou gravé en coupelles légères dans un atelier voisin du sien, après les tissus froncés aux couleurs d’arc-en-ciel, Marie Ducaté adopte deux nouveaux supports : le papier calque et les tissages de métal.
Elle pose sur les dalles de pierre ces nouvelles cottes de maille sculptées en larges corolles peintes d’anges d’or, ou sur des modelages de terre cuite en forme de gisant, ces lourds métrages d’aluminium qui adoptent avec souplesse chaque aspérité de la sculpture ; apparaît alors le guerrier immobile dans sa vêture médiévale, née d’un tissu industriel détourné de l’avenir vers le passé du templier, tel qu’il vient d’être installé au cœur de la Tour de Philippe le Bel, à l’extrémité du Pont Bénezet, à l’invitation de la ville de Villeneuve-lès-Avignon.

Un peu plus loin, dans la Chartreuse du Val de Bénédiction où dort un Pape, dans le silence des cellules des moines ermites aujourd’hui offertes aux écrivains en résidence, négligeant cloîtres, salles capitulaires et chapelles gothiques, Marie Ducaté occupe les espaces les plus modestes, ceux des passe-plats qui permettaient tout juste – depuis le corridor vers chaque cellule – le passage quotidien d’un pain, d’une cruche ou d’un livre. Ces caches fermés par un volet de bois, désormais vitrés et éclairés, offrent à chaque visiteur leur secret. Aussi petits que les garde-mangers de nos aïeules, ces minuscules reposoirs s’ouvrent sur de modernes miniatures.

Peintes à l’aquarelle sur un épais papier calque, qui a la fermeté et la transparence des vieux parchemins, ces nouvelles enluminures ont pris du relief car Marie Ducaté a eu l’idée de les froisser comme les papiers couleur de roche qui servent de décor aux crèches. Ainsi les petites nativités vitrées de verre filé, montées à Nevers par les moniales du XVIIIème siècle, mettaient en scène, dans des formats identiques, un monde fragile inspiré par la naissance de l’Enfant Jésus.
C’est le cycle du Couronnement de la Vierge, magnifique commande des pères Chartreux à Enguerrand Quarton pour la chapelle funéraire d’Innocent VI, que Marie Ducaté revisite. Elle a vécu plusieurs semaines dans la solitude de sa cellule, inspirée par ce grand panneau peint à l’œuf en 1453, sa fenêtre ouverte sur la froideur d’un printemps tardif pour mieux écouter les oiseaux, dont elle est privée dans son atelier marseillais de la Joliette. Elle a retrouvé les accords d’incarnat, d’outremer et d’or qui se déploient sur le manteau de la Vierge en majesté entourée de ses anges, dont la grande courbe domine les trois registres horizontaux du Paradis, du Purgatoire et de l’Enfer.
Revisitant chaque détail, l’artiste a serré dans ses froissages enluminés vingt-deux morceaux choisis : les mains croisées de Marie, les ailes immaculées des séraphins, un diable fourchu, une nuée céleste, un chœur de chérubins, un joueur de cornemuse endormi au pied d’un rempart du Palais des Papes…

La promenade des secrets dévoilés s’étire doucement au long des cloîtres, étranges zooms sur les détails de la précieuse peinture que l’on peut aller revoir, après avoir quitté la Chartreuse par l’allée des Mûriers, dans le musée voisin.

Mais à l’inverse des chemins de croix des églises de la Semaine Sainte qui inaugure cette étonnante exposition, tour à tour dévoilée et ravie par les guichets de ces confessionnaux de peintre, c’est une allégresse de découvertes que célèbre ce couronnement en pièces détachées, curieusement mises en relief par les froissages imaginés par Marie Ducaté. La technique transparente de l’aquarelle retrouve la riche palette du grand primitif peint à l’œuf qu’elle a choisi pour thème. Ses découpages chiffonnés le réinventent grâce à ces innovations avec lesquelles l’artiste s’approprie le site historique. Nous revisitons le chef-d’œuvre et sa poétique intégration glissée au cœur de la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, grâce à l’invitation de son directeur, François de Banes Gardonne, faite à Marie Ducaté pour saluer le printemps.

Danièle Giraudy
4 avril 2010

En suivant ce lien, vous serez dirigé vers l’ancien site de Marie Ducaté sur lequel vous trouverez une grande partie des œuvres créées tout au long de sa carrière.

Ce site n’est pas optimisé pour les écrans mobiles.