Petit écrin dans la région, le musée Ziem organise une exposition Marie Ducaté jusqu’au 2 septembre. Par une programmation étudiée et une présentation soignée des œuvres, ce musée démontre s’il en est, à l’instar des musées de Céret et de Lodève, que des municipalités dynamiques savent parfois recruter du personnel compétent afin de concevoir une politique muséale pointue.
Marie Ducaté possède à la maturité un savoir-faire indéniable doublé d’une féerie polymorphe qui la fait s’atteler dans un pot-pourri étonnant et bariolé à différentes facettes de l’art pompier méditerranéen. Trois pans : bibelots en céramique avec petit chien mystérieux tels des ex-voto chers à Lewis Caroll, pièces utilitaires en verre (compotiers et plateaux) puis tableaux au cadre peint avec incrustations sur le cadre. S’ajoute à cela les tables étonnamment fragiles aux pieds chantournés avec des nœuds ampoules soufflés, des curiosités à regarder davantage qu’à utiliser.
La maîtrise atteinte avec les pièces de verre ne déparerait pas à Murano, en particulier un vase en céramique avec perroquet et citrons délicat et subtil, baroque et colonial, frais et aimable. La plupart des vases, poulpes et langoustes, coupe le souffle par la richesse de l’invention, la moquerie soutenue et la richesse de la palette employée. Cet art confondant de la pâte de verre, l’utilisation des pigments, le fini délicat et la pérennité hors temporalité obtenue de ces pièces de l’étal du mareyeur, a pris une si belle ampleur qu’il ne faudra pas s’étonner de la côte foudroyante que vont prendre ces joyaux pièces uniques chez les collectionneurs.
Artisan de haut vol, artiste prolifique dont on ne peut limiter la production en un jeu espiègle où le bucolique côtoierait le chatoyant, Ducaté accoste d’année en année des rivages à l’insupportable féerie. Au milieu, trône au sol une sculpture de verre Bébé lumigloo, un dôme éclairé de l’intérieur avec de multiples pièces se jouxtant, une pièce montée visitée par des bijoutiers-luminaristes, une tiare de maharadjah.
Outre les compotiers gravés sur verre dépoli d’une grande sobriété de maîtres verriers à la Daum ou Gallé, des dessins et esquisses sur les murs nous jette dans la farandole chère à Marie. Lutins, diablotins, couples ailés (anges déchus ?), champs, cieux, tout pète, étincelle et danse.
Dans la série l’homme et le stupre – l’annonce de la noce, de la java, d’un pas de danse – l’on aperçoit le compagnon danseur reconnu ou affiché en tentateur. Ex- voto du familier, volonté farouche de rester dans la couleur. Dérision et majesté. Il y a même un hommage inattendu par des tableautins à la Picasso avec mousquetaire à moustache et culottes de poil quand il n’a pas une paire de citrons à la place des burnes (spermatica acidia). Une belle allégresse teintée parfois de malentendu, de disparition annoncée, d’éclipse du corps. Parmi les dernières pièces de la dernière salle au 2ème étage du musée Ziem, cinq grands tableaux de nuages qui ont remplacé le roussi des murs de flamme des chambres ou la chaume incendiée de bagatelles pudiques. Une main verte, des paires de fesses surgissent ou surnagent.
Le monde enchanteur se dérègle, se voiler la face, se réserver pour d’autres mystères, d’autres départs ? Une petite pièce cuite, le roi-crapaud se mirant, nous en dit long sur la splendeur inventée du retour d’image, jamais n’est plus beau à ses yeux que le nabot, poutre et paille, tige et fouet … charité bien ordonnée commence …
Le mystère de ce travail au bout de trente ans de fréquentation réside justement là dans la volonté sardonique de masquer le malheur. Si tout n’est que foire, lampions, grelots, pétards, farandoles et bûchers, qu’en est-il de la placidité blessée de la représentation ?
Un tableau à l’huile de 1985, Paradis à la télé, une scénographie surréelle mettant en prise des mondes parallèles, des lignes de fuite, souligne la préoccupation du réel usurpé : encadré par un paon et une biche, un téléviseur blanc diffuse en pleine nature un film animalier tandis que chat et lapin jouent sur un fauteuil et qu’en arrière-fond paissent des animaux sauvages en chromo dans la savane.
Allégorie blême et stoïque qui pointe sous l’enjouement une sagesse toujours aussi naïve et désintéressée : et si Marie Ducaté était un auteur de fables ?
Texte : Emmanuel Loi
Source : Journal Sous-officiel / Septembre 2006
Redacteur en chef : Jean-François Meyer